Dolomites, Civetta 2019, 2022, 2024
Civetta, face nord-ouest Kein Rest von Sehnsucht, jusqu’à la 17e longueur, sortie par la voie Philip / Flamm, puis la vire magique. 9-10 août 2024 accompagné par Matt Ca faisait longtemps que l’on parlait de cette voie. Nous y avions fait une timide tentative en 2019, puis, diverses raisons nous en ont éloigné pendant quelques années ; dont la principale : qu’il y ait un créneau météo suffisamment fiable pour s’engager dans « la paroi des parois », comme on l’appelle. Enfin, cette fois, les feux se sont mis au vert. C’est que je vieillis gentiment et n’ai plus tout mon temps à consacrer pour ce genre de bêtise. Après s’être mis d’accord sur la tactique à adopter en 2024, nous touchons le pied de la voie lorsque le jour se lève ; dans nos sacs, 8 litres d’eau et de quoi passer une nuit acceptable. Tellement absorbés par l’escalade, nous ne voyons pas passer la journée, oubliant même de boire et de manger. La grimpe est sérieuse, impressionnante, avec du rocher parfois délité dans certains passages. Nous sommes contents de trouver de temps à autre un piton, ou un relais à rafistoler. Le jour décline, nous sommes censés arriver au bivouac mentionné sur le topo. Mais il n’y en a point, ou alors si minuscule qu’on n’ose même pas y penser. On tire encore une longueur, celle commune avec la voie Philip / Flamm et nous nous retrouvons au fond d’un énorme couloir, insignifiants, à la merci de tout ce qui peut descendre. Seul avantage, on peut enlever le baudrier ; de toute façon, il fait nuit et nous n’avons plus le choix. Un rapide coup d’œil au smartphone nous rassure, le cumulonimbus passe à 10 km plus à l’est, pour les cailloux, reste à croiser les doigts pour que le vent ne se lève pas. Pas évident de décrire la nuit avec des mots, ça faisait longtemps que je n’avais plus vécu un moment d’une telle intensité, et ça fait un bien fou d’être si loin d’un monde qu’il devient toujours plus difficile à supporter. Il s’agit d’une longue suite de somnolences, de méditations et de mal de cul, heureusement sans claquer des dents, avant que le jour pointe. Là on se rend compte de l’ampleur de la fuite en avant effectuée la veille. Le but de la journée est bien de sortir de là sans devoir à nouveau bivouaquer, avec les bouteilles vides cette fois. A un moment donné, alors que notre itinéraire se faufile dans un boyau étroit, une possibilité de s’échapper se dessine, avec un semblant de vire en pente, mouillée, qui file à gauche. C’est l’option que nous retenons. De belles traversées expos pour le second ;-)) nous font retrouver « Kein Rest » et ses voisines, mais nous poursuivons tout de même à l’horizontal sur plusieurs centaines de mètre, avec parfois un rappel ou un pas de grimpe et nous sortons au même endroit qu’en 2019, près de la voie Aste – Suzatti. Ouf ! Ce n’est bien sûr pas parfait, mais nous sommes heureux d’avoir vécu une sortie en montagne intense et inoubliable dans la Civetta, l’ogre des Dolomites. Comme la vie est un éternel recommencement, d’autres projets à partager ensemble nous ont sautés aux yeux pour les prochaines années… Non, rien n’est vraiment terminé.
31 juillet 2022, Torre d’Alleghe, voie Bellenzier Bien entendu, à peine arrivés, nous courrons directement vers la paroi de nos rêves. Une voie courte pour se chauffer, et le lendemain, le projet principal puis on se serre la poigne, on rigole, on fête ça avec deux trois Forst et on passe à autre chose. C’est toujours beau les rêves, malheureusement, nous avons (inconsciemment ?) occulté certains paramètres météorologiques. Pour moi, la voie de chauffe s’est plutôt changée en petit cauchemar, la faute d’un virus dont je ne veux pas savoir le nom qui s’est manifesté au mauvais moment, et des conditions, il faut le dire, venteuses et glaciales qui m’ont quelque peu affaibli, ratatiné même, avec une sensation d’avoir vidé mes accus et des sabots aux pieds à la place des PA, rien d’idéal. Pour Matt, cette voie historique s’est plutôt grimpée comme dans un conte de fées ; en particulier cette « dalle en trad » en 6c de la 3e longueur, où une photo de Louisa Jovane parue dans un vieux « Vertical » nous faisait de l’œil depuis longtemps. Il semblerait que l’ouvreur solitaire ait planté 3 gollots, ce qui reste toujours très peu, que le premier répétiteur, l’illustre Reinhold Messner, n’ait pas trouvé. Il y a tout le temps des mystères dans ces grandes voies à l’éthique rigoureuse. Bravo à toi Matt de grimper en libre avec tant d’aisance dans ce terrain ! Tant dans le socle de la voie, hyper pourri, plus péteux que ça, ce serait du sable qui ne donne pas envie de revenir, que dans les 5 superbes longueurs de la voie proprement dite. Puis, par une longue promenade, il faut revenir au fantastique refuge Tissi que j’atteins tant bien que mal, grelottant en ayant même pas envie d’une mousse, pas bon signe. Après avoir un peu mangé, je m’endors rapidement. Le lendemain, lundi 1er, sentant que j’ai besoin de vrai repos, il faut malheureusement descendre au camping. Un créneau de grand beau se dessine pour le mercredi 3, ce serait vraiment bête de le rater. Petit tour dans la paroi des parois, voie Aste-Suzatti Civetta, un nom qui résonne dans le cœur de grimpeurs de notre trempe. Cet énorme récif de calcaire développe, au nord-ouest, ce que l’on appelle la paroi des parois. Il était évident que nous allions nous y retrouver un jour. Sans hésitations, je dirais même que ce mur est l’un des plus imposant que j’aie eu l’occasion d’admirer. Restait à choisir par quelle voie l’aborder. En connaisseur de récits alpins, je n’étais pas chaud pour gravir certaines voies célèbres, remontant de grandes cheminées ruisselantes où il faut parfois même enlever son pantalon pour passer. Ceux qui ont lu le livre le 7e de degré de Messner comprendront. C’est avec ces bonnes idées en tête que nous avons rejoint le Rifugio Tissi le 8.08, après deux journées de repos suite à une trilogie dans les Pale di San Martino. Face au mur, nous y avons étudié notre projet. Le lendemain, 9.08, petite déconvenue en tentant la voie « Kein Rest von Sehnsucht ». Mauvaise tactique, pas le bon jour, bref, nous y avons pris un but. Heureusement pas très haut, comme ça nous étions quitte d’abandonner trop de matériel et avons rallié rapidement le refuge pour nous reposer et envisager un plan B. La météo est encore super pour le jour suivant, y’a pire dans la vie. 10.08, pour mettre les chances de notre côté afin de sortir une voie dans la paroi des parois, nous optons pour celle nommée Aste – Suzatti de 1954, une ligne de fissures rayant une partie très massive du mur. Nous restons cette fois dans la zone de confort sachant que n’importe quelle escalade, dans la Civetta voir dans toutes les Dolomites sont des expériences qui nous grandissent en tant que grimpeurs aventuriers, n’est-ce pas là-bas l’un des berceaux de l’escalade ? Départ de nuit, dépôt de matos puis nous remontons rapidement le socle. Petite réflexion quant au tour de rôle que nous adoptons pour savoir qui commence aujourd’hui. Avec Matt, c’est souvent comme ça : chacun sa moitié de voie en tête. Pour le reste, RAS. Une bonne vieille grimpe avec du vieux VI-VI+, des fissures, des cheminées (pas trop heureusement) et surtout une ambiance du tonnerre. Les faces nord en été, c’est quand même le top ! Lorsque la cloche d’Alleghe résonne au loin, frappant les 12 coups de midi, nous sortons de la paroi. Une longue descente nous attend, d’abord par la ferrata, puis par une longue marche. Desalteration obligatoire à la cabane Coldai avant de repasser sous The Wall (ou nous n'étions que deux minuscules petites briques...) afin de récupérer le surplus de matériel. S’en suit encore 1200m de descente raide, super jolie, mais que nous ne sommes plus en mesure d’apprécier avant de retrouver la voiture. Une longue descente, une vraie montagne et surtout la satisfaction d’avoir posés nos P.A dans ce secteur-là. C’est sûr, nous reviendrons!
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