Album photo des Gorges du Pichoux, depuis 2010Cascades de glace dans les Gorges du Pichoux 2012. Coupées en deux par la controversée frontière des cantons de Berne et du Jura, les Gorges du Pichoux, nom signifiant les milles sources, recèlent des trésors rares pour les amoureux des piolets et crampons. En amont de ces gorges, dans la partie « sud », donc bernoise, trône une série de cascades qui ne manquent pas d’air et qui sont exposées à la vue de n’importe quel automobiliste. Cette cluse, à peine abîmée par la route, est grandiose, sauvage et idyllique. Cela fait longtemps que se gravit la cascade du pilier du Forgeron, située plus en aval au nord d’Undervelier. Sa facilité d’accès et ses difficultés raisonnables en font une classique très appréciée. C’est vraisemblablement Philippe Steulet qui avait mis le relais tout en haut dans les années 90. A la même période, j’en avais ajouté un autre sur la droite au haut de l’échelle du fortin. Et en 2010, nous avons changé tout ça en inox. Mais c’est surtout la partie amont des Gorges qui m’a toujours attiré. La zone qui se situe un peu au-dessus du Lac Vert est dotée d’une grosse barrière de surplombs où se forme à chaque frimas, une multitude de glaçons, qui retombent bien vite sur le sentier au premier rayon de soleil, vous voilà prévenus. Lors de très grands froids, ces glaçons fusionnent avec le sol et offrent d’innombrables possibilités, mais c’est très rare. En 1992, avec Gazeux, nous avions fait une timide tentative au-dessus de la Sorne, la rivière du coin, mais notre expérience encore très limitée à l’époque, ainsi que nos vis à frapper au marteau, nous avaient dissuadés de grimper en tête. Par quelques acrobaties, nous avions pu nous assurer depuis le haut. En 2001, avec Evelyn, j'avais gravi la belle cascade tout à droite, mais le soleil s'était rapidement montré menaçant. Entre temps, il y a probablement eu quelques cordées, mais c’est si insolite de pouvoir grimper là en toute sécurité qu’elles doivent se compter sur les doigts d’une main.Aussi, j’ai choisi de ne baptiser aucune ligne dans le ressaut inférieur, tant c’est incertain. Au-dessus, au milieu des grandes barres rocheuses et des vires, se dessinent des possibilités fantastiques, mais ô combien aléatoires. Nichées dans un four abrité de la bise, elles se mirent au soleil de l’après-midi. En décembre 2010, en compagnie de Fabrice, nous nous risquons à aller voir, dans l’espoir que la suite de l’hiver soit rude. En crapahutant sur les traces des chamois, nous découvrons de jolis ressauts de rocher et de glace mélangés que nous pouvons parcourir en nous assurant du haut grâce aux nombreux arbres ; ceci jusqu’à la magnifique et raide draperie finale. Nous plaçons également quelques spits afin que la future voie puisse se parcourir plus « facilement », façon de parler ! Je répète le même exercice, plus au nord, quelques jours plus tard avec Gaston dans un grand dièdre verglacé, mais le redoux a déjà sévi. Heureusement, nous pouvons nous enfuir rapidement à l’Auberge sur la Côte qui se situe non loin de là. Ce ne sera pas pour cet hiver ! Février 2012, un froid sibérien est annoncé avec plusieurs nuits à -20°, voire -25°C, ça pourrait bien « le faire » dans le Pichoux. Hélas pour moi, diverses maladies hivernales ainsi qu’un manque cruel de disponibilités font que ces quelques sorties inespérées tiennent du miracle. Sans parler d’une laborieuse et douloureuse récupération. Passons, les conditions longtemps rêvées sont là, c’est maintenant qu’il faut y aller. Car je maintiens toujours cette idée : l’essentiel est de s’accomplir dans ce que l’on aime, tant qu’on en a l’occasion, et être soi-même! C’est en début d’après-midi, le 8.02, que je retrouve Fabrice au milieu des Gorges. Comme la journée est déjà bien avancée, nous fonçons directement vers la barre du haut, pour gravir la ligne évidente des Passagers de la tourmente, en hommage à une chanson géniale des Doors. Deux jolies longueurs de difficultés modérées, sans aucun matériel fixe en place, s’offrent à nous, en plein soleil. A l’abri de la bise, l’attente au relais devient presque agréable. Ensuite, nous traversons à droite en direction de la cascade supérieure, celle qui mène au plateau et qui est majeure. Une grande longueur avec une sortie « correcte » parachève la dernière marche des Escaliers pour le paradis, la chanson culte de Led Zeppelin. Les bras chauffent, l’escalade est extraordinaire et la joie à la mesure de la beauté des lieux. Pour la petite histoire, je n’utilise pas les spits placés en 2010, trop à droite. La glace est assez fournie pour grimper le plus directement possible avec des vis, dont certaines vraiment douteuses. Les conditions exceptionnelles de ce mois font sonner souvent mon téléphone pour emmener des gens dans les glaçons. C’est la saison et je dois bosser aussi. A plusieurs reprises, j’arrive à convaincre mes futurs hôtes qu’il n’est pas nécessaire d’aller faire la queue dans les sites alpins connus, il faut profiter du Jura. Les lignes qui me trottent dans la tête ne risquent pas d’être encombrées… Au matin du 11.02, en compagnie de Greg, nous démarrons ce que j’appelle l’intégrale du Pichoux, en songeant, un peu ironiquement, à une grande arête alpine très connue. Sacs au dos, nous commençons la journée par la belle cascade de droite, (gravie en 2001, comme mentionnée avant). Quelques ressauts plus haut, nous buttons sous une barre raide avec un dièdre finement garni de glace. Ce projet, orné de 3 spits en 2010, m’offre une splendide escalade mixte délicate de 35m, avec des friends et des vis courtes. Baptisé La fine couche de glace de la vie moderne, il fait référence à un morceau de l’album The Wall de Pink floyd. C’est un nom que je n’avais pas utilisé dans le secteur d’escalade, dédié à ce groupe phare, de Soulce tout proche, car il ne cadrait pas vraiment avec de belles voies en t-shirt. Ceci étant fait (presque 2 fois pour moi, car j’ai du aller récupérer mon sac depuis le dernier spit), l’honneur revient à Greg de grimper en tête dans la deuxième partie en conditions parfaites. Je monte derrière avec la perceuse afin de mettre un relais pour redescendre sur la vire où nous attend la suite des événements: une jolie cascade, non encore gravie, très exposée au soleil. Après un rude départ mixte assuré par 2 pitons, j’arrive à poser une vis courte en coinçant mon genou derrière un glaçon qui va casser sitôt mon point mousquetonné. Ensuite, les bras lourds, j’évolue péniblement dans de la glace verticale de mauvaise qualité, où les points d’assurages sont plutôt d’ordre psychologique. Plus tard, je hisse la perceuse pour mettre le relais. Etrange journée (Les Doors à nouveau) est née, en songeant aux conditions très particulières nécessaires à de telles ascensions. Mais voilà, l’intégrale n’est pas terminée. Et comme nous avons une éthique, nous ne voulons pas savourer les cafés « chalet » de l’auberge en s’étant enfui par les talus. Il reste les 4 longueurs des Escaliers pour le paradis. Pour ce jour-là, c’est typiquement la voie de trop, les sacs sont lourds, les bras nous trahissent et certains passages sont loin d’être aisés, malgré les quelques spits en place. Je pense à la cheminée de la 2e longueur ou le petit mur raide de la troisième. Sans oublier le bouquet final, la dernière, gravie sans fautes quelques jours plus tôt avec Fabrice. Ce jour-là, je dois me reposer sur les vis, comme ça je peux les tester; sans oublier d’aller rechercher mon sac une fois les difficultés franchies en tête. Quelques instants plus tard, Greg sort en second, les bras en feu, et nous nous congratulons pour cette réalisation de l’intégrale du Pichoux. 350 mètres de dénivellation depuis la rivière, avec plusieurs longueurs difficiles coupés par des sections de marche, est-ce là une possibilité unique dans le Jura ? A quelques encablures de la source qui donne ce joyau, nous buvons le verre de l’amitié à l’auberge avant de redescendre à la frontale par le sentier et la route des Gorges, jusqu’à la voiture, ouf ! Comme dit plus haut, la santé ne va pas fort ces temps, on n'a plus 20 ans, quoi ? Cette intégrale m’a vidé et je dois différer certains rendez-vous. Le suivant a lieu le 16.02 en compagnie de Jérôme, qui n’a jamais fait de cascade de sa vie. Bien que les températures soient franchement remontées, je choisis le premier ressaut au-dessus de la rivière pour faire cette initiation, tout en gardant un œil sur les glaçons qui dominent et aussi sur les nuages qui laissent parfois passer quelques rayons de soleil. Il ne faut plus grand-chose pour que tout se casse la figure. La journée se passe à merveille, tout d’abord dans le petit ressaut à 70° qui est à côté du sentier, puis juste au-dessus dans le cigare que j’avais convoité en 1992 et que je n’avais encore pas osé gravir. Puis nous grimpons dans une autre ligne sur la cascade de droite. Car l’eau a déjà repris ses droits dans le départ de l’intégrale du 11.02. Une section verticale, suivie d’une cheminée, m’ouvre les portes d’une sortie plutôt inquiétante, où je dois enjamber le trou qui descend à l’intérieur du tube, jusqu’en bas ! Jérôme est cuit, et plus que satisfait d’avoir découvert l’activité, mais aussi de l’avoir fait dans un lieu et des conditions peu banales. Quant à moi, je suis content que cela s’arrête maintenant, et que tout se soit bien passé pendant ces quelques sessions. C’est fou comme les satisfactions sont différentes en devenant plus vieux. Ca devient dangereux, mais c’était la grande classe !! C’est le cœur rempli de bonheur que j’écris ces quelques lignes en me réjouissant de la prochaine vague de grand froid qui reviendra bien un jour. J’ai encore quelques projets dans la tête là-haut, mais les circonstances ont voulu que ce soit pour une autre fois. Seul l’humain disparaît, les montagnes, elles, restent ! Et avec la glace aléatoire du Jura, il faut être prêt le jour J, voire à l’heure H. En tout les cas ça aura été aussi de grands moments de partage, sans prise de tête, où j’aurai pu exercer mon métier, tout près de chez moi, en très bonne compagnie. Merci les gars ! N.Z, 24.02.2012 Pour plus d'informations...L'auberge à la sortie des voies, incontournable Galerie photo
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