Ski de pentes raides, 1995 - 2021
L'adage est bien connu: "Là où il y a de la neige, on peut toujours skier. Tout dépend de quelle neige, et de quel skieur"
Le travail du guide est bien d'assurer son client dans les passages délicats, et éventuellement enrayer une chute, au moyen de la corde. Cette image ne colle pas vraiment avec du "free ride". Si l'un de mes clients fait tout une pente en roulé-boulé, et décède, alors que j'avais la corde dans le sac, j'aurai du mal à me justifier devant un juge...
Mais voilà, en montagne, on prends quelques risques, plus ou moins grands, selon affinités. Une pente à 35° en neige dure peut déjà tuer. Donc je ne me prends pas la tête avec les degrés d'inclinaison, mais du 45°, c'est déjà du raide. Aussi, pour s'embarquer dans de telles aventures en ma compagnie, il faudra que je connaisse bien les intéressés.
Les idées ne manquent pas pour ce qui concerne les buts à choisir. Voici un petit historique de quelques unes de mes descentes, la grande majorité de mes compagnons ont, tout comme moi, appris à skier à la Golatte...;-) 1995, les débuts avec Stéphane Gasser, sur les pointes de Tséna Réfien, Arolla (VS) Puis, entre 1995 et 1999, diverses pentes comme les couloirs d'Hannibal au Vélan, les couloirs de la Tsa, d'Arpette, du Grand Golliat, les doigts aux Dents du Midi, la sud du Balmhorn sans oublier l'ouest de l'Eiger, 2 fois, la première fois seul et la deuxième en compagnie de Nicolas Vernez. Enfin, la face sud du Combin de Valsorey avec mon frangin.
Et cette fameuse journée de mai 1999, en bordure de piste au Titlis, où m'entraînant dans une pente raide, mais courte, je ne vis pas la plaque de glace cachée sous la petite couche de poudre. Résultat, 100 mètres de culbutes rapides et quelques bleus, mais surtout un énorme coup au moral. Heureusement que cela ne m'est pas arrivé au sommet du Marinelli ou du Couturier, par exemple.
La vie nous offre de grandes chances, souvent. Ce n'était qu'un avertissement que je n'ai pas manqué d'écouter.
Les années suivantes sont consacrées au cours de guide, ou il n'est pas demandé de "rider" du 50°, mais plutôt de bien skier, dans toutes les neiges. Malgré l'appréhension, des rêves subsistent. Pas nécessairement les plus pentus, mais des classiques raides, esthétiques, avec de l'ambiance.
Mai 2008, je pars seul au Balmhorn à la première benne. Vite en haut, avec mon walk-man sur les oreilles, je souffle à peine avant d'entamer une descente à l'ambiance rare, par la face nord. Il fait chaud, les crevasses béantes m'ouvrent leurs gueules. Je m'en sors vite, avec un peu d'adrénaline et une neige plus que lourde, c'est que je serai bientôt papa pour la seconde fois à ce moment-là... ça fait aussi réfléchir. Un grand souvenir...
2010, à nouveau un accident avec le ligament croisé déchiré. J'en ai marre de ce sport, et me réjouis de transmettre ce que je connais à ma fille, sur les pistes, ce sera plus sûr. Mais évidemment, question boulot, il n'y a pas photo, c'est infiniment mieux que d'être enfermé 8 ou 9 heures par jour derrière des vitres avec des gens qui vous sortent chaque jour les mêmes mots, à la même heure... Donc vive les classiques à peaux de phoques.
2013, l'hiver est exceptionnel, et je me paie une paire de "Rockers", plus légers que mes gros B3 qui sont des skis exigeants, et là, j'arrive à concrétiser quelques rêves, qui m'auront inspiré cette rubrique:
7 avril, pente Nord-est des Courtes en compagnie de Gazeux (Raphaël Gasser) en télémark. Fantastique virée, raide et engagée, dans une neige poudreuse exceptionnelle. Une belle descente qui met la banane au visage, car au moment de faire les premiers virages tout là-haut, le coeur était un peu serré... Sans compter les suiveurs venus à la première benne qui ne disent pas merci pour la trace mais qui râlent sur le sluff. Ils nous ont quand même bien fait marrer, vive cham!
25 avril, Couloir Marinelli à la face est du Mont-Rose depuis la Silbersattel 4515m, c'est la plus haut face des Alpes avec près de 2400 mètres de dénivellation. Un coup de fil la veille d'un vieux pote, une place de libre dans le carrosse, une occasion à ne pas manquer. En compagnie d'Anjan, Fabian, Romana et Kilian, nous décollons à 7h30 de Zermatt. Un vol grandiose nous permet de passer en face est pour étudier les conditions, puis nous posons à 4000m. Une heure de peaux de phoque plus tard, le souffle court, nous atteignons la Silbersattel.
Nous posons deux rappels de 60 mètres dans la glace avant de commencer à skier. Quelle ambiance! Vers 4000m, il faut traverser à gauche pour longer les séracs. Puis la pente redevient large, avec des perspectives de grandeur hallucinantes. Vers 3500m, nous quittons le couloir sur la gauche pour rejoindre la crête avant de basculer sur le glacier du Nordend. Les dangers objectifs ne sont pas à négliger, de méchants séracs nous dominent et ça chauffe rudement, nous nous en sortons vite et arrivons sur le glacier du Belvédere. Puis, nous suivons la piste, enfin ce qu'il en reste, dans une neige qui ne fait plus envie. Arrivée à Macugnaga, en Italie après une descente de 3200m.
Pour la rentrée, je n'y avais même pas pensé et c'était le dernier de mes soucis, tout semble organisé. Après quelques minutes de taxi, nous arrivons vers Roberto et son appareil qui rétrécit les montagnes. Par un vol à nouveau génial nous atteignons Testa Grigia, sur les piste de Zermatt, pour aller manger quelque chose à la cabane Gandegg tenue par un autre vieil ami, Richi. Un rêve réalisé, merci Anjan pour le coup de fil, c'était pas facile de m'organiser ici mais ce serait été "suicidaire" de rater cette occasion.
En ce qui concerne la logistique pour épingler cette énorme paroi, c'est vite vu: monter dans la face est évidemment la façon la plus élégante, esthétique et "pure". Il s'agit de se rendre très tôt au bivouac Marinelli afin de s'y reposer durant les heures chaudes, puis reprendre la crapahutte vers minuit pour commencer la descente avant que la neige ne décaille trop, une belle aventure, c'est une face est, ne l'oublions pas. Par la Suisse, il faut déjà obtenir des places à la nouvelle cabane du Mont-Rose toujours bondée, ça c'est le plus dur. Puis c'est 6 bonnes heures de montée, ça c'est jouable. Autres options, la cabane Gnifetti depuis Alagna ou monter dormir à la cabane Margherita 4554m, mais peut-être pas évident pour se reposer si l'on est pas acclimaté.
Bref, après ces grandes réflexions, l'occasion s'est présentée autrement. La logistique s'est résumée à une poignée de dollars, on ne vit qu'une fois, non?
Avril 2014, seul, je pars de la cabane Planura en direction du Tödi. Montée rapide par la voie normale d'été en versant ouest. C'est même si facile que je renonce à redescendre par le même chemin, jusqu'au fond du val Russein. Il n'y a plus assez de neige à mon goût, trop glacé. Dommage, cette paroi me plaît, orientée ouest, il y a du 45-50° dans le haut, avec deux trois passages étroits, elle fait bien 1500m jusqu'au fond du vallon. Mais ce n'est pas pour ce jour là. Je choisis donc la Porta da Gliems et une fabuleuse descente plus classique jusqu'au bord du Rhin antérieur, réitérée en 2016 avec des clients, de 3600 à 1000m.
En 2017, on ne vient pas plus téméraire avec l'âge. Les rêves existent toujours, mais les conditions restent bien aléatoires. Fin mars, en compagnie de Gazeux, sortie à la journée du côté du versant nord du Rinderhorn. Une descente sauvage et presque inconnue malgré son évidence. Mais les derniers 150m, bien raides, exposés, sont mauvais, avec plein de cailloux (les calcaires oberlandais ressemblent plus à des Whales qu'a des Sharks). Et nous, les dalles, c'est plutôt en P.A que nous les aimons. Rien de grave, nous sommes si biens là-haut, à se marrer entre amis. La descente est tout de même splendide et il ne fallait pas traîner si l'on ne voulait pas rater la dernière benne.
Plus tard, à la fin mai, un post sur Gipfelbuch m'interpelle. Le Täschhorn s'est skié par un gars tout seul depuis 100m sous le sommet. Non? Si si... Ben faut aller voir, 2-3 coups de fils, quand est ce que t'es dispo? Et la météo, toujours nickel. C'est 4 jours après "le gars tout seul depuis 100m..." que nous portons tout notre matos, Christian et moi, en direction du Täschhorn. Mais qu'est ce que ça chauffe à cette saison. Où est la neige, ben encore plus haut, sur le glacier. Nous voyons encore quelques vieilles traces d'il y a 4 jours sur les rares taches de blanc sale qui restent. Pfff, ça va pas être la même mayonnaise, vaut mieux poser ces sacs trop lourds, installer le bivouac, et on verra bien.
Après une bonne mais courte nuit, c'est parti. Une cordée est devant nous. Le glacier passe bien, puis nous portons les lattes sur une arête facile avant de rechausser. A 4200m, sous l'énorme sérac, c'est terminé pour le ski, place aux crampons. Nous attaquons une grande pente verglacée à 45-50°, puis un replat, et à nouveau une pente avant les derniers gendarmes de l'arête du diable et le sommet (4490m). Les traces qu'a laissé le "gars tout seul..." sont bien là, deux minces bandes de neige dure sur un miroir brillant. Avec l'exposition de la pente, ce n'est plus d'actualité pour nous (je sais, nous sommes de très grosses lopettes;-)).
Une bonne partie d'alpinisme plus tard, nous retrouvons nos skis afin de nous faire plaisir sur 1200m de déniv' tout de même, dans un paysage de rêve, entre d'énormes crevasses aussi. Puis la douche froide, descendre encore 1500m à pied, chargés comme des mules. Bien que ce ne soit pas été tout à fait ce que l'on espérait, du moins plus comme "le mec tout seul..." c'était une splendide occasion et des conditions top pour courtiser cette grande montagne, c'est toujours elle qui décide.
28 février 2021, couloir de la Dent Jaune aux Dents du Midi.
Après que le plus jeune des membre du trio ait constaté qu’il a oublié ses peaux de phoques au haut du télésiège des Marécottes, c’est à deux, Stéph et moi que prenons la direction des Dents du Midi via le col de la Golette. S’en suit une jolie descente, la meilleure de la journée, sur le lac de Salanfe avant une chaude remontée de 1100m au col de la Dent Jaune.
27 ans auparavant, fin février 1994, nous étions déjà venus ensemble dans les parages, sans jamais atteindre ce col. Il y avait énormément de neige. Nous avions longuement traçés tout au long des 2000m de montée du versant Champéry. Arrivés au bas du couloir, nous enfonçions jusqu’au-dessus des hanches, en creusant un sillon à l’aide de la pelle, la progression était plutôt pénible. Après 8 heures d’efforts, le bon sens avait crié Stop. Le temps d’un Beedies et d’une Camel sans filtres, nous avions abordé une descente exceptionnelle.
Les temps changent, nous ne fumons plus depuis longtemps, les condition de neige se dégradent à vitesse grand V. Le couloir de la Dent Jaune était, dans mes souvenirs un large toboggan régulier. Maintenant, il est tout étroit et il faut s’échapper par une vire dans le couloir des Doigts si l’on ne veut pas sauter par-dessus la goulotte de glace. Bref, une descente décevante, sur une neige complètement rabotée par le vent avec plein de vagues irrégulières et dures, rien de très plaisant. Sur le bas, c’était à peine un peu mieux jusqu’à 1560m où nous avons chaussés les baskets pour une heure de marche à la rencontre de notre infortuné junior qui a pu ainsi faciliter la logistique, merci à lui.
Malgré tout, la journée fut belle, c’est toujours un cadeau de pouvoir être en montagne en bonne compagnie, avec un temps pareil. Le couloir n’est plus ce qu’il était, les hivers non plus, les époques de la vie défilent même si les dents sont restées jaunes.
Pour plus d'informations...
Jeanne Brichoux en hélico
Galerie photo
Tout skieur "extrême" qui se respecte est au moins descendu une fois dans sa vie la Golatte. Son téléski à propulsion atomique est masqué par la forêt, le fameux "nid d aigle", pente initiatique de référence , n est pas visible non plus.
De saines lectures
Février 2021, couloir (des) Dents Jaunes, Dents du Midi avec Stéph
Temps de carte postale
Vue sur le nord
Mais ce n est pas bon!
Février 2021, couloir de la Dent Jaune
Fin du couloir, quasi le plus mauvais que nous ayons skié, mais quel belle journée tout de même.
Février 2021, les Dents du Midi avec le couloir de la Dent Jaune, et le couloir des doigts
Täschhorn, mai 2017
Täschhorn, mai 2017
Täschhorn
Täschhorn
Täschhorn
(entre parenthèses) et çui là, a t il été fait? (Dom, face sud), juillet 2016
Couloir du Dom vu de près, Täschhorn, mai 2017
Täschhorn, mai 2017, la glace empêche de skier le haut
Täschhorn, mai 2017, rien de très raide
Täschhorn, mai 2017, mais quel plaisir!!
Täschhorn, mai 2017, et quelle belle face. L autre cordée est visible dans la glace, en haut à droite.
Täschhorn, mai 2017
Täschhorn, là c est un peu le côté sombre de l aventure
Versant nord de l Aletschhorn
Dans le versant nord du Rinderhorn
Les Dents du Midi
La face ouest du Tödi (Grisons), un beau projet qui demeure
Sommet du Tödi, la ou je renonce à la face ouest et opte pour la Porta da Gliems
Face ouest du Tödi dans toute son ampleur
Massif du Mont Rose et couloir Marinelli
Le Mont-Rose avec le couloir Marinelli au milieu
Vu du carrosse, ça semble nickel
Et de face, qu est ce que c est raide.
Un reportage "onde de choc", voir le lien ci-dessus...;-)
La montée n était pas trop pénible, mais le carrosse se change maintenant en citrouille, il faut marcher pendant 1 heure, en altitude, jusqu à la Silbersattel
Silbersattel, 4515m
Silbersattel, 4515m
Pose du premier rappel
Kilian
Le toboggan qui nous attends
Au dessus des Alpes, en bas, les dernières taches de neige de Macugnaga
Anjan
Quand on peut descendre la Golatte, on peut descendre partout!
Vue sur la cabane Margherita
Romana et Kilian
Kilian
La pointe Dufour et notre départ de la Silbersattel à droite
Traversée pour passer entre les séracs
Fabian
Anjan
Romana
Sur la crête qui sépare le Marinelli du glacier du Nordend
Couloir Marinelli avec le bivouac qui émerge à peine de la neige
La démesure du Mont-Rose à la sauce Italienne, même en maquette, il impressionne
La pente nord-est des Courtes
Gazeux après la rimaye qui a été très taquine
Le bonheur d être là
Gazeux
Bon ben... il reste à faire ce premier virage (proooouuut..)
C est parti!
Gazeux en télémark
Moi en ski
La rimaye
Et le plat glacier d Argentière
La face nord du Balmhorn (oberland)
La face nord du Balmhorn (oberland)
Balmhorn
Descente de la nord du Balmhorn, seul en 2008
Mont de la Gouille (VS)
La face sud du Grand Combin (VS)
Face sud du Grand Combin
Descente de la sud du Grand Combin
Arrivée au sommet de l Eiger
Eiger
Pas se tromper de côté!
Versant ouest de l Eiger
Versant ouest de l Eiger
Ca se calme un peu, mais quelle ambiance
Le replat avant de passer sous les séracs
Le versant ouest de l Eiger, c était en 1998
L un des nombreux couloirs du Val d Arpette (VS)
Au départ de l un des couloirs de la Tsa, Arolla (VS)
Pointe de Tséna réfien, Arolla (VS)
Superbe face pour apprendre le raide
Stéphane
Pointe de Tséna réfien, Arolla (VS)